Verrochio Andrea (1435-1488)

Le Buste de saint Jérôme de la collection Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] représente la tête du saint âgé, sa poitrine et ses épaules, dans une expression pieuse. Il reprend la tradition picturale qui le dépeint sous les traits d'un ascète, vivant dans la solitude pour la contemplation et l'accomplissement de ses devoirs spirituels. Sa physionomie est robuste et vigoureuse: yeux enfoncés, joues creuses et mâchoire protubérant. La morphologie de ce buste est proche de la caricature, mais atteint un tel degré de précision anatomique que le réalisme passe pour crédible. La tête et les yeux levés, la bouche ouverte et la poitrine offerte, marquée par la pierre qu'il utilise pour se frapper jusqu'à l'extase mystique, reflètent une expression d'extrême dévotion.

Les résultats d'un test de thermoluminescence démontrent que ce buste a été créé pendant la Renaissance et son étroite ressemblance avec les œuvres des ateliers de Verrocchio, Leonardo da Vinci et Rustici, de même qu'un dessin de la fin du Quattrocento florentin qui paraît avoir servi de fondement à ce modèle, situe d'emblée sa réalisation pendant le dernier quart du Quattrocento. Cette œuvre doit être considérée de manière significative en raison de son mérite et de son usage, comme un modèle d'atelier. Malgré ces caractéristiques et ces qualités, ce buste de saint Jérôme a été complètement ignoré par les historiens de l'art de la Renaissance.

La physionomie, les caractéristiques morphologiques et les qualités stylistiques de ce buste indiquent directement Verrocchio comme son auteur. Il pourrait s'agir du buste de Verrocchio mentionné par Giorgio Vasari comme "...una testa di S. Girolamo che è tenuta maravigliosa" (1568, réed 1971, p. 545).

Par la forme et le style particulier des rides sur la peau et la position de la chair sur le crâne protubérant, il fait écho à la tête de Goliath dans la sculpture de Verrocchio David et Goliath au Bargello à Florence (inv. 450). D'une part, il n'est pas suffisamment naturaliste pour être considéré comme une œuvre de Leonardo, alors que, d'autre part, il se distingue du style caricatural de Rustici.

Verrocchio a dû créer ce buste pour exprimer une élévation spirituelle à travers la physionomie et donner un sentiment pieux à son sujet, un modèle d'atelier servant à dessiner les études préparatoires des tableaux dédiés à ce thème. Il s'intéressait aussi à la résolution des problèmes anatomiques des articulations du cou et des épaules. Ces problèmes n'étaient pas auparavant travaillés de manière satisfaisante par tous les artistes de la Renaissance et devinrent plus tard un grand sujet d'intérêt pour Leonardo da Vinci, dans Saint Jérôme en pénitence de 1481, conservé au Vatican.

Richard D. Serros, La Passion du Dessin, Musée Jacquemart-André, Paris 2002, p. 372