FJK 022
Carpaccio Vittore (ca. 1465/68-1525/26)
Femme assise de profil
ca 1505-1507
134 x 109 mm
Technique
Encre grise portée au pinceau, lavis d'encre grise rehaussé de blanc sur papier préparé gris bleu.
Inscription sur le carton-support "S.V. n° 8" (Scuola Veneta).
Certificat
Lettre-certificat de M. Nicholas Turner, datée du 24 février 2000, adressée à M. Nicolas Schwed, Christie's Old Master Drawings Dept., New York.
Lettre-certificat du Prof W. R. Rearick datée du 1er avril 2000, Venise.
Provenance
Album "Sagredo-Borghese" (Lugt 2103a)
Collection particulière, Lyon (?)
Vente Christie's New York, 28 janvier 2000, lot 5
Collection Jan Krugier, Monaco, JK 5773
Fondation Jan Krugier
Expositions
Musée Jacquemart-André, Paris, La Passion du dessin. Collection Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 19.03 - 30.06.2002, cat. 13, pp. 48-49; reproduction couleur p. 49;
Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung, Munich, Das Ewige Auge - Von Rembrandt bis Picasso. Meisterwerke aus der Sammlung Jan Krugier und Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 20.07 - 07.10.2007, cat. 21, p. 58; reproduction couleur p. 59.
Notes
Lorsqu'il faisait partie de la collection Sagredo, ce petit dessin était attribué à une main anonyme, bien que cette famille vénitienne ait possédé de nombreuses feuilles de Carpaccio. Il en fut de même à Lyon où cette feuille et la majorité des dessins ayant appartenu aux Sagredo échurent ensuite. Aucun lien ne fut établi avec le tableau de Berlin jusqu'à sa vente par Christie's à New York.
De petite taille, mais magistrale par son traitement du chiaroscuro, cette étude sert d'ébauche à Carpaccio pour son "teler" qui représente Saint Pierre consacrant saint Etienne (Staatlische Museen, Gemäldegalerie, Berlin), une toile signée et datée de 1511. Il s'agit du premier tableau d'un cycle de cinq compositions murales commandées par la Scuola di Santo Stefano, une institution située en face de l'église vénitienne du même nom. C'est aussi le dernier grand cycle narratif exécuté par Carpaccio pour une Scuola vénitienne. Lorsqu'il est enfin terminé en 1520, L'Assomption de la Vierge du Titien est en place depuis deux ans et le vieux Carpaccio ne peut que reconnaître combien son art appartient désormais à une époque révolue.
Son approche du dessin, sa conception claire du genre et de la technique, résument toutes les étapes de préparation d'un tableau. Dans la Consécration de saint Etienne, Carpaccio a préparé sa composition avec une première étude à l'encre, rapidement esquissée sur un papier blanc qui a malheureusement disparu. Il réalisait parfois son ébauche à la sanguine. L'usage de cette technique, rare à Venise, lui permettait de ré-étudier les personnages soit à l'encre, soit au lavis de bistre ou à la sanguine. Cette technique est empruntée aux suiveurs lombards de Leonardo da Vinci, tel Agostino da Lodi, et plus directement aux maîtres actifs sur la "terra ferma", comme Marescalco.
Pour le tableau de Berlin, il s'inspire d'une feuille (University Art Museum, Princeton, inv. 44-274 recto) sur laquelle il avait copié deux femmes orientales d'après une gravure de Reeuwich dans Sanctarum Peregrinatiorum, publié par Brettenbach en 1486. Cette préparation à la pierre noire, appliquée au pinceau et rehaussée de blanc sur papier bleu, pour Le Triomphe de saint Georges (Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, Venise) a été exécutée cinq ans plus tôt. Il emploie habituellement cette technique pour effectuer des copies d'autres œuvres. Il revient à la plume et au lavis de bistre dans une suite de trois dessins qui en sont des variantes (Nationalmuseum, Stockholm, inv. 31/1973) : le premier représente des nus, le deuxième deux personnages habillés, le troisième reprend la composition gravée. Il y a ajouté trois personnages sans rapport avec le sujet mais ceux-ci ne figurent pas dans la composition peinte. Tout semble mis en œuvre ici pour cacher la source de ce tableau. En revanche, il revient à une citation plus directe de la gravure de Reeuwich dans le Saint Etienne. Mais d'autres modèles sont également utilisés dans la composition de Berlin. Un folio conservé au musée du Louvre (Paris, inv. 3094) entretient une relation plus lointaine avec cette Consécration. Parmi les dix-neuf orientaux et les trois cavaliers rapidement esquissé à la plume, avec un léger lavis, seuls un cavalier et trois hommes à pieds apparaissent dans le tableau et ceux-ci présentent une légère différence avec le dessin. Ceci permet de penser que la feuille du Louvre qui a servi de source d'inspiration en 1511 a été exécutée antérieurement.
Dans les études de personnages isolés, ébauchés à la plume, Carpaccio fait de nouveau appel au chiaroscuro, technique qu'il utilise pour ses copies d'après des gravures. En préparant la figure de la femme au vieux marché, assise sous les marches de l'escalier situé à droite, il ne copie pas une gravure mais revient à un type qu'il a déjà utilisé deux fois. Elle apparaît en premier lieu dans La Dispute de sainte Ursule, vers 1495 (Galleria dell'Accademia) puis, après quelques modifications, sous les traits de la sage-femme de La Naissance de la Vierge (Accademia Carrare, Bergame) qui appartient au cycle de la Scuola degli Albanesi, vers 1504-1508. Aussi, compte tenu de son habitude à réutiliser des modèles familiers, est-il probable que Carpaccio s'inspire des dessin de son atelier pour commencer à composer cette feuille. Le soin avec lequel l'artiste a dessiné le personnage, précisant autant sa pose que son anatomie, même si la partie gauche est dissimulée sous les drapés, est significatif. Les traits saisissent avec une grande acuité l'expression psychologique de la femme, voire la touche dramatique qu'elle inspire. Malgré la clarté plastique du modelé, la radieuse luminosité du dessin laisse supposer que Carpaccio ne travaille pas d'après une source graphique mais d'après un modèle vivant, tel que l'évoque l'étude de L'Homme debout (National Museum, La Valette) pour L'Arrivée des ambassadeurs anglais vers 1495 (Galleria dell'Accademia, Venise) où le peintre reproduit une lumière et une atmosphère identique.
La sibylline femme au marché, assise dans une position que l'on retrouve dans la figure de La Présentation de la Vierge du Titien (Galleria dell'Accademia, Venise) une décennie plus tard, est issue d'une longue tradition iconographique dans la peinture vénitienne et apparaît dans le tableau de Cima da Conegliano (Gemäldegalerie, Dresde). Selon Panofsky et Rosand, toutes deux sont redevables de prototypes nordiques, tel que la gravure de Dürer pour La Présentation, issue de La Vie de la Vierge, et sont généralement interprétées comme des personnifications du judaïsme (E. Panovsky, Problems on Titian Mostly Iconographic, New York, 1969 et D. Rosand, Painting in Cinquecento Venice, Titian, Veronese, Tintoret, New Haven, 1982). Dans la Présentation vénitienne, la femme assume le double rôle d'ancienne prophétesse et de voyante qui tombe en transe lorsque la mission de Marie, comme Mère de Dieu, est révélée. A partir de cette référence, Carpaccio fait une transposition peu fidèle de la présence symbolique de cette sibylline voyante qui annonce le futur, de la consécration d'Etienne comme apôtre à la lapidation du premier martyr, après avoir provoqué la colère du Sanhédrin qu'il tenait pour responsable de la mort du Messie. Cette figure correspond au contexte du saint et du groupe d'orientaux qui observent avec curiosité et consternation sa consécration. Cette scène se fait aussi l'écho des sujets d'inquiétude qui occupent encore Venise, depuis que son allié byzantin est tombé aux mains des Ottomans, cinquante ans plus tôt. Ce dessin suggère que Carpaccio apporte une attention plus soutenue à la politique que cela a été généralement admis jusqu'ici.
Roger W. Rearick, La Passion du Dessin, Musée Jacquemart-André, Paris 2002, pp. 48-49
Demande d'information/de prêt
La Fondation Jan Krugier se consacre au rayonnement de la collection de dessins en prêtant régulièrement des œuvres pour des expositions. Les demandes de prêt devront comporter une présentation complète du projet.